Les allergies alimentaires ? Sujet redouté par les parents, en particulier lors de la diversification. Dalipo vous propose de mieux comprendre les différents types d’allergies alimentaires, leur diagnostic chez l’enfant et leur prise en charge.
Pour ça, on est allé poser la question au Docteur Benoist, pédiatre allergologue à l’Hôpital Ambroise Paré, à Boulogne.
Notre interview du Docteur Benoist, pédiatre allergologue, vous éclaire sur le sujet des allergies alimentaires chez les enfants :
DALIPO : Qu’est-ce qu’une allergie alimentaire ?
Dr. BENOIST : Une allergie alimentaire, c’est une réaction immunologique anormale du corps, dirigée contre une protéine alimentaire, animale ou végétale : « l’allergène ».
Bien sûr, tout ce qui arrive à un enfant pendant ou après un repas n’est pas forcément expliqué par des allergies alimentaires. D’autres causes peuvent mimer les mêmes signes : par exemple une urticaire liée à un virus, une gastroentérite, une intoxication alimentaire.
Certains aliments peuvent causer des rougeurs transitoires, souvent au niveau du visage, simplement parce qu’ils contiennent de l’histamine : c’est le cas des tomates, des aubergines, des fraises,…
Il existe plusieurs formes d’allergie, que l’on distingue en fonction de deux éléments : le délai d’apparition, et la nature des symptômes qui suivent l’exposition à l’aliment. Le médecin est là pour faire le tri et trouver le bon diagnostic !
DALIPO : L’allergie IgE-médiée est la forme d’allergie alimentaire la plus connue
Dr. BENOIST : L’allergie « IgE » est la forme d’allergie qui vient en premier à l’esprit quand on pense à une réaction allergique à un aliment. L’enfant allergique a en lui des anticorps appelés « IgE » (pour immunoglobulines E) qui vont reconnaître une protéine allergène comme « indésirable ». Par exemple une protéine d’œuf, une protéine d’arachide.
La réaction survient quelques minutes après avoir ingéré un aliment qui contient la protéine allergène. Cela peut aussi arriver après un contact sur la peau ou après l’inhalation de l’allergène, même si c’est plus rare.
Le symptôme le plus fréquent des allergies alimentaires est l’urticaire : des boutons en relief qui grattent. Ça débute souvent autour de la bouche, mais on peut en retrouver sur tout le corps. Parfois les lèvres ou les yeux vont gonfler.
Il peut y avoir d’autres signes : une sensation de grattage dans la bouche ou sur la langue, des douleurs au ventre, des nausées.
DALIPO : Dans quels cas la réaction allergique est-elle sévère ?
- Si l’enfant éprouve des difficultés à respirer, avec une toux ou des sifflements comme de l’asthme.
- En cas de modification de la voix (le fameux œdème de Quincke qui est au final très rare).
- Ou encore si l’enfant vomit ou a très mal au ventre.
- Ou s’il fait un malaise, qu’il perd connaissance.
C’est une anaphylaxie et le traitement d’urgence est l’adrénaline.
Tous les aliments peuvent être impliqués dans les allergies IgE. Chez l’enfant les allergies alimentaires les plus fréquentes sont : le lait de vache, l’œuf, le poisson et les fruits de mer (crustacés, mollusques), l’arachide et enfin les fruits à coque comme la noisette et la noix de cajou.
Le médecin établira le diagnostic grâce au récit des parents, complété par deux types de tests : des tests cutanés, on fait des petits pics sur la peau avec un peu d’allergène ; et/ou une prise de sang pour doser les anticorps IgE responsables de l’allergie.
DALIPO : Quelles sont les autres formes d’allergies alimentaires chez les bébés ?
Dr. BENOIST : L’allergie retardée, surtout suspectée lors des premiers mois de vie de bébé
Les aliments concernés sont principalement le lait de vache, et parfois l’œuf, le blé.
Les manifestations évocatrices sont très variées et ne sont pas particulièrement spécifiques d’une allergie. Cela peut être une diarrhée traînante, des filets de sang dans les selles, un eczéma sévère malgré un traitement avec des dermocorticoïdes, une mauvaise prise de poids, des régurgitations intenses, des pleurs ou des troubles du sommeil inexpliqués…
De plus, les tests cutanés ou la prise de sang ne sont pas adéquats pour ce type d’allergie. C’est l’épreuve d’exclusion suivie de réintroduction (hors cas sévères) qui oriente le diagnostic.
- On exclue l’aliment pendant 2 à 4 semaines.
- Si on observe une amélioration des symptômes sous régime d’exclusion, il y a deux possibilités : soit c’est bien l’éviction de l’aliment qui a contribué à résoudre le problème, soit c’est un concours de circonstances.
- C’est pour ça qu’il faut ensuite faire une réintroduction de l’aliment pour conforter le diagnostic.
- Si les symptômes reviennent lors de la réintroduction, alors le diagnostic d’allergie est fortement probable.…
- Cette étape de réintroduction n’est pas facile à réaliser pour les parents (ni à proposer par le médecin c’est vrai) quand l’enfant semble aller mieux après l’exclusion de l’aliment suspect ! Pour autant elle est essentielle pour éviter un surdiagnostic… et un régime prolongé inutile…
Le SEIPA, surtout suspecté au début de la diversification alimentaire.
SEIPA, c’est un acronyme qui signifie « Syndrome d’Entérocolite Induite par les Protéines Alimentaires ». On suspecte le SEIPA surtout au début de la diversification alimentaire. Les aliments impliqués sont à la fois les allergènes communs comme le lait de vache, l’œuf ou le poisson, mais aussi d’autres plus particuliers comme la patate douce, le poulet, le riz ou certains légumes.
- Les symptômes typiques du SEIPA sont des vomissements 1 à 4 heures après le repas, avec parfois une pâleur, un état léthargique, suivis d’une diarrhée en différé. Il n’y a pas de signes cutanés ou respiratoires comme dans l’allergie IgE.
- En gros, cela ressemble à une gastroentérite « éclair », mais qui se reproduit à chaque fois que l’enfant mange le même aliment : c’est ça qui permet d’alerter sur les éventuelles allergies alimentaires.
Le médecin établit un diagnostic à partir de ces symptômes caractéristiques associés à des résultats ici normaux pour les tests cutanés ou la prise de sang.
DALIPO : A quoi ressemble la vie d’un enfant souffrant d’allergies alimentaires ?
Dr. BENOIST : Même si cela apparaît souvent stressant pour les parents, la vie d’un enfant avec des allergies alimentaires doit être la plus normale possible !
Il y a 2 objectifs principaux pour les familles. Le premier c’est d’éviter une ingestion imprévue du ou des allergène(s) concernés, et le deuxième de savoir réagir en cas d’accident.
Le meilleur moyen de prévenir une réaction, c’est d’éviter le ou les aliments auxquels l’enfant est allergique. Les familles sont formées à lire les étiquetages des produits pré-emballés.
Grâce à la réglementation INCO (INformation COnsommateurs), 14 allergènes sont toujours déclarés lorsqu’ils entrent dans la composition d’un produit : le lait, l’œuf, les céréales contenant du gluten dont blé, le poisson, les crustacés, les mollusques, l’arachide, le soja, le lupin, les fruits à coque, le céleri, la moutarde, le sésame, et les sulfites.
Ces 14 allergènes sont aussi tenus à disposition dans les menus des restaurants. Par contre, il n’est pas nécessaire de tenir compte des mentions « de précaution » des industriels comme « traces / peut contenir / fabriqué dans un atelier qui utilise » tel ou tel allergène.
Malgré tout, un accident peut toujours arriver, même lorsqu’on essaie d’être vigilant. C’est pour cela que les adultes référents et l’enfant, dès que son âge le permet, doivent savoir reconnaître les signes d’allergies alimentaires et les prendre en charge.
Dans l’allergie IgE, une trousse d’urgence suit l’enfant dans ses déplacements. Elle comporte les médicaments nécessaires en cas de réaction allergique : un antihistaminique (sous forme de sirop ou comprimé) et parfois un stylo auto-injectable d’adrénaline et les traitements de crise d’asthme. La conduite thérapeutique est synthétisée dans un document écrit : le plan d’action.
Et pour le second lieu de vie des enfants : crèche, école,… : un dossier spécial appelé « PAI ou projet d’accueil individualisé » regroupe toutes les informations importantes pour l’enfant allergique : la liste des aliments interdits et les mesures d’éviction (régime alimentaire mais aussi l’interdiction d’activités manuelles avec l’allergène), le plan d’action ainsi que l’ordonnance pour les médicaments de la trousse d’urgence.
Selon les cas, l’enfant mangera à la cantine le même menu que ses camarades sous réserve de l’absence de l’allergène, ou un plateau spécifique garanti sans allergène ou bien un panier-repas préparé par la famille. Cela dépend de l’allergène et de la complexité de mettre en œuvre l’éviction, de l’histoire clinique et des possibilités d’encadrement en collectivité.
DALIPO : Est-ce que les allergies alimentaires des bébés peuvent disparaitre quand l’enfant grandit ?
Dr. BENOIST : L’évolution d’une allergie est variable en fonction de l’allergène et de l’enfant.
Certaines allergies alimentaires disparaissent le plus souvent : c’est le cas de l’allergie aux protéines du lait de vache ou à l’œuf.
Pour d’autres, c’est plus compliqué avec une guérison dans seulement 1 cas sur 5 : c’est le cas de l’allergie à l’arachide, aux fruits à coque ou aux poissons. Comment savoir si l’enfant a guéri ? Pour l’allergie IgE, c’est l’évolution des résultats des tests cutanés ou des prises de sang qui va guider le médecin. Si les feux semblent « au vert », une tentative de réintroduction sera programmée à l’hôpital pour être en conditions sécuritaires : c’est le test de provocation par voie orale (TPO pour les médecins). Parfois, lorsque la guérison traîne et/ou n’est que partielle, un protocole de désensibilisation peut être initié : c’est l’immunothérapie orale. Cela ne concerne qu’un nombre restreint d’aliments et nécessite un suivi spécialisé allergologique.
Régulièrement, le médecin s’attachera à évaluer la qualité de vie de l’enfant, notamment en cas d’allergies alimentaires multiples et/ou persistantes. Ecouter et essayer d’apaiser les éventuelles angoisses liées à l’alimentation et aux activités sociales est essentiel.
Enfin, pendant le suivi, le médecin surveillera l’apparition d’autres maladies « atopiques ». Ce sont des maladies qui peuvent être liées à l’allergie, comme l’eczéma, l’asthme et la rhinoconjonctivite allergiques.
DALIPO : Est-ce vrai que les allergies alimentaires sont de plus en plus fréquentes chez les enfants ?
Dr. BENOIST : C’est le ressenti d’un grand nombre de médecins mais on ne peut avoir que des estimations de chiffres de fréquence. En France, la cohorte ELFE qui suit 15.000 enfants recrutés en population générale estime autour de 6% les enfants de moins de 5 ans ½ qui ont au moins une allergie alimentaire. Cette étude est basée sur des retours de questionnaires et non pas sur le résultat direct d’un diagnostic médical, ce qui pourrait expliquer une surestimation. Tous les enfants peuvent développer à un moment de leur vie, et le plus souvent dès leurs premières années, une ou plusieurs allergies alimentaires. Ce risque est plus important en cas d’antécédents familiaux d’atopie chez les parents ou la fratrie (eczéma, allergie alimentaire, asthme, rhinite allergique), mais aussi si l’enfant a lui-même un eczéma précoce et sévère.
Différentes études ont conduit progressivement les médecins à actualiser leurs préconisations. Une exposition digestive, précoce et régulière aux allergènes semblerait favoriser l’acquisition de la tolérance même chez les enfants les plus à risque.
C’est-à-dire qu’en les introduisant par l’alimentation, le plus tôt possible à partir du début de la diversification alimentaire, et en les consommant ensuite de façon régulière une fois introduits, on diminue le risque de développer une allergie alimentaire.
Au contraire, les expositions indirectes aux allergènes par la peau avant une consommation par voir orale, seraient allergisantes, surtout quand la peau est lésée comme en cas d’eczéma.
Les allergologues pédiatres, dans un document publié en 2022, ont ainsi souligné deux moyens complémentaires pour réduire le risque de développer une allergie alimentaire :
D’abord, le traitement actif d’un éventuel eczéma et la prévention des expositions indirectes aux allergènes : on évite les cosmétiques à base de protéines alimentaires, on se lave bien les mains avant de toucher son bébé si on a consommé soi-même des allergènes à risque. Ensuite, une diversification alimentaire dès 4 à 6 mois, incluant sans délai les aliments à fort potentiel allergisant en prenant en compte les habitudes alimentaires familiales car c’est ceux auxquels l’enfant sera exposé indirectement et cela garantira la régularité de la consommation dans le temps. Ces préconisations préventives sont valables pour n’importe quel enfant.
Pour ceux ayant un terrain atopique notable, une évaluation allergologique sera utile à prévoir pour accompagner au mieux l’introduction des allergènes les plus à risque, qui se fera parfois sous supervision médicale.